Taîwan, une île au centre de l’actualité internationale. Plongez dans son histoire au travers de ce récit biographique. 

À l’occasion de la sortie de notre nouveau manhua « Le fils de Taïwan », écrit par Yu Pei-Yun et dessiné par Zhou Jian-Xin, nous vous proposons de découvrir en avant première la préface de Yu Pei-Yun. Il s’agit ici d’un témoignage inédit pour notre édition française, que vous pourrez également découvrir dans le volume.

Par l’autrice : Yu Pei-Yun

La première fois que j’ai rencontré monsieur Kunlin Tsai, c’était en avril 2016, à l’occasion d’une session de partages d’expérience des victimes de la Terreur blanche*. Lors de cette rencontre, j’ai écouté monsieur Tsai, âgé de 86 ans, raconter son expérience et j’ai fondu en larmes. Ensuite, pendant le dîner, messieurs Tsai et Chinsheng Chen – une autre victime de l’oppression politique – se sont soudainement souvenus qu’ils avaient oublié de chanter durant la réunion. Je leur ai demandé de « se rattraper ». Alors ces deux vieux messieurs se sont levés et ils ont sorti le texte des paroles de leurs poches. Pendant le chant, à la fois doux et retentissant, j’ai ressenti leurs réelles émotions. Néanmoins, quelque chose m’était difficile à comprendre. En effet, comment avaient-ils pu garder leur candeur après avoir subi de telles oppressions et épouvantables souffrances ?

 

Monsieur Kunlin Tsai est né en 1930 dans le district Qingshui de Taichung sous l’occupation coloniale japonaise. Enfant, il aimait lire et chanter. En 1944, alors qu’il étudiait au lycée premier de Taichung, il a été mobilisé comme étudiant-soldat par les Japonais. Le 15 août 1945, alors qu’il était de garde à l’aéroport de Shuinan, le Japon a capitulé. Après la guerre, il a étudié sérieusement le mandarin et, en raison des excellentes notes qu’il a obtenues pour son diplôme de fin de collège, il a représenté son établissement dans le premier « camp d’été de la jeunesse » de Taïwan, où il a rejoint le Kuomintang avec ses pairs. Au lycée, il a vécu les turbulences de « l’Incident du 228 ». Après l’obtention de son baccalauréat, il a renoncé à poursuivre des études supérieures à cause de la situation financière de sa famille et il est allé travailler à la mairie. En septembre 1950, il a été arrêté par des policiers militaires en civil pour avoir participé auparavant, dans son lycée, à un club de lecture, et il a été condamné à dix ans de prison ferme. Il était parmi les premiers prisonniers politiques à débarquer sur l’île Verte en 1951.

 

Après sa libération et nombre de péripéties, monsieur Tsai a fondé Prince en 1966, un fameux magazine de jeunesse, malgré la mise en place d’un système total de censure du manhua. Puis il a créé une galerie d’art sous l’égide de l’entreprise Guotai, il a édité et publié la première série de l’Encyclopédie mondiale à Taïwan, et il a même lancé un magazine féminin de référence, Nong Nong, au milieu des années 1980. Après avoir quitté son poste de vice-président de la compagnie de publicité Guohua pour prendre sa retraite à la fin 1999, il s’est consacré entièrement à la justice et à l’éducation aux droits de l’homme. Comment présenter cette riche et merveilleuse expérience de vie et y intéresser les groupes sociaux et les jeunes lecteurs réticents aux questions politiques ? J’ai alors pensé que le manhua était le support le plus adapté !

 

J’ai nommé cette œuvre Le Fils de Formose à l’origine parce que les 92 ans de la vie de monsieur Kunlin Tsai illustrent l’histoire centenaire de Taïwan. Ce manhua en quatre volumes décrit donc cette longue vie de près d’un siècle. Le dessinateur Zhou Jian-Xin a utilisé différents styles et techniques en fonction de l’intrigue de chaque volume pour tenter de recréer l’atmosphère de l’histoire. Dans le même temps, il s’est également débarrassé du style japonais très populaire à Taïwan, qu’il s’agisse des traits physiques caricaturaux des personnages ou bien des expressions et des mouvements corporels exagérés issus des mangas. Il a au contraire introduit des personnages réalistes et sobres, et il s’est concentré dans ses planches sur la représentation fidèle de bâtiments, d’objets et de scènes symbolisant le contexte de l’époque. Zhou Jian-Xin, qui a remporté de nombreux prix de création d’albums de jeunesse, s’est lancé pour la première fois dans la création d’un manhua. Il y a introduit la composition et les diverses techniques de présentation des albums de jeunesse, insufflant ainsi de la fraîcheur et du renouveau à ce genre de bande dessinée.

 

Par ailleurs, j’espère que ce manhua pourra vraiment montrer la succession et le mélange des langues dans l’histoire moderne de Taïwan. J’ai donc utilisé le minnan, le japonais, le mandarin et un peu d’anglais. À la fin de chaque tome, les lecteurs trouveront également une chronologie et des textes explicatifs pour les aider à comprendre le contexte de l’époque. Par conséquent, cette série de manhuas convient également aux lecteurs étrangers qui n’ont pas de connaissance de l’histoire de Taïwan.

 

Durant nos longs échanges, monsieur Tsai m’a dit un jour : « Même si les positions politiques sont différentes, vous ne devriez pas immédiatement étiqueter les autres, mais vous devriez vous mettre à leur place pour comprendre pourquoi ils ont de telles pensées et vous verrez que les parcours ardus de vie sont souvent à l’origine de ces idéologies. » Fidèle à cette conception de monsieur Tsai, j’essaie de reproduire les scènes de sa vie et les événements sociaux de chaque époque, tout en évitant les accusations directes lors de l’écriture de ce manhua. J’espère ainsi donner aux lecteurs plus d’espace de réflexion.

 

Dans cette brève introduction, je ne peux qu’esquisser les contenus de cette œuvre et les motifs de sa création. Je laisse désormais les lecteurs découvrir par eux-mêmes les éléments de la vie de Kunlin Tsai et ressentir les motivations qui m’ont poussée à la raconter ainsi.

* Début de la Terreur blanche en 1950, une frise chronologie est disponible aux pages 168-169 du livre.

SORTIE LE 03 FÉVRIER