Taîwan, une île au centre de l’actualité internationale. Plongez dans son histoire au travers de ce récit biographique. 

À l’occasion de la sortie de notre nouveau manhua « Le fils de Taïwan », écrit par Yu Pei-Yun et dessiné par Zhou Jian-Xin, nous vous proposons de découvrir en avant première la préface de Zhou Jian-Xin. Il s’agit ici d’un témoignage inédit pour notre édition française, que vous pourrez également découvrir dans le volume.

Retrouvez cette semaine l’illustrateur en dédicace sur notre stand Kana au Festival International de la Bande-Dessinée d’Angoulême 2023.

Par l’illustrateur : Zhou Jian-Xin

Le Fils de Taïwan est le fruit de ma première expérience de création de manhua. Auparavant, je me consacrais principalement à la création d’albums de jeunesse. L’histoire s’étend sur une durée de 90 ans. Au cours de cette période, Taïwan a traversé successivement la colonisation japonaise et l’arrivée de la République de Chine ; puis, après avoir connu un régime totalitaire, elle a évolué vers la société libre et démocratique d’aujourd’hui. Dans un tel contexte, la narration commence par l’enfance insouciante du protagoniste et suit sa vie pleine de hauts et de bas, ses joies et ses peines.

 

La construction de l’œuvre divise la vie du personnage central en quatre étapes : « Le garçon qui aimait lire », « Dix ans sur l’île Verte », « L’ère du Prince » et « Je souffle dans le ciel tel un millier de vents ». Comme illustrateur, j’ai cherché à reconstituer l’atmosphère de l’époque en me basant sur des recherches documentaires, puis j’ai essayé de présenter l’évolution psychologique du protagoniste. La plupart des dessinateurs utilisent un seul style graphique dans leur création, j’ai pour ma part pu combiner différents éléments, grâce à mon expérience dans divers médias et par ma formation à plusieurs formes d’expression lors de mes études dans le domaine de l’art. Les styles sont conçus pour chacune des quatre étapes de la vie de Kunlin Tsai.

 

Le premier volume, « Le garçon qui aimait lire », se déroule de 1935 à 1950, principalement à l’époque de la colonisation japonaise. L’âge du protagoniste se situe entre cinq et vingt ans, du début de l’enfance à la fin de l’adolescence, et l’histoire se concentre sur sa passion pour la lecture. L’atmosphère de l’époque est nostalgique et la personnalité du personnage s’exprime principalement par l’innocence. J’ai donc choisi le style du dessin à la main, avec des crayons, qui se rapproche le plus de la peinture enfantine, assorti de la couleur rose pour son aspect plaisant. Le deuxième volume, « Dix ans sur «  l’île Verte », poursuit l’histoire de sa vie sur les dix années suivantes, de 1950 à 1960. Le personnage principal perd sa liberté et est détenu sur l’île Verte. Il est dépressif, mais il garde tout de même espoir dans cette situation difficile. En conséquence, j’utilise des techniques d’infographie dont le résultat est semblable à celui de la gravure et de la peinture à gratter, afin de faire ressortir les différents niveaux graphiques et de ralentir la lecture pour permettre une meilleure appréhension des sentiments du protagoniste. La couleur de fond de ce volume est une pointe de bleu, symbolisant le désir de liberté.

 

Le troisième volume, « L’ère du Prince », s’étend de 1961 à 1969. Kunlin Tsai entre dans l’industrie du manhua et fonde un magazine pour enfants. Par conséquent, les éléments de manhua jouent un rôle important dans ce tome. Au cours de cette période, les manhuas ont prospéré à Taïwan, en particulier ceux sur les arts martiaux inspirés des mangas japonais. La qualité du papier des manhuas était médiocre à cette époque, les couleurs étaient principalement des surimpressions monochromes et bicolores, le noir violacé étant la couleur d’impression couramment utilisée. D’autre part, en cette période où le droit d’auteur n’était pas respecté, les éditeurs taïwanais importaient un grand nombre de mangas japonais non autorisés par le gouvernement, ce qui a également affecté les aspects et les techniques de création des bandes dessinées taïwanaises, tels que l’organisation des vignettes et l’utilisation des trames. Ainsi le troisième volume intègre-t-il ces éléments comme expression visuelle.

 

Le quatrième manhua de la série, « Je souffle dans le ciel tel un millier de vents », couvre la période de 1970 à 2020. Pour cette période de 50 ans, je ne continue pas d’employer la technique narrative des trois premiers volumes, mais j’adopte plutôt la méthode du plan sur plan pour présenter en alternance les moments d’entretien et les flash-backs. Cette étape montre non seulement les efforts que fait le héros pour développer sa carrière, mais aussi la croissance effrénée de l’économie taïwanaise. C’est également une étape grâce à laquelle l’environnement politique évolue vers l’ouverture et la démocratie sous la pression et le choc violent de différentes forces politiques et sociales. Avec une riche vie professionnelle, et une retraite consacrée comme volontaire dans le domaine des droits de l’homme, le ton du caractère est plus chaleureux et lumineux. Afin d’exprimer la violence de l’atmosphère sociale de cette époque, le style de ce volume combine ceux des trois premiers avec des collages de photos pour augmenter le réalisme de la scène, l’orange étant utilisé pour renforcer l’aspect lumineux.

 

J’applique différents schémas et techniques de couleurs pour présenter chaque volume, afin de toucher les lecteurs par des éléments visuels, mais, en même temps, cela met à l’épreuve ma capacité d’intégrer les quatre tomes en un seul ouvrage, plutôt que quatre créations indépendantes. Bien que le style de chaque manhua soit différent, il y a une certaine harmonie technique entre la fin d’un volume et le début du suivant. Par exemple, plusieurs pages à la fin du premier volume sont présentées avec la technique de la peinture à gratter du second ; de même, le rêve au début du troisième poursuit ce style. Les images des couvertures montrent non seulement les différents aspects des quatre étapes de la vie du protagoniste, mais aussi, à travers la disposition de différentes couleurs, permettent aux lecteurs de ressentir l’atmosphère tonale du volume avant même d’ouvrir le livre.

 

Cet ouvrage est un manhua documentaire qui décrit le développement historique de Taïwan en se concentrant sur la vie d’une victime politique. Le ton général est sérieux. Par conséquent, bien que l’aspect physique des personnages soit simplifié, on trouve rarement des techniques d’exagération. Les visages et les corps sont aussi proches de la réalité que possible. Le découpage des cases adopte principalement la méthode de mise en page des mangas japonais, mais j’y ai quand même créé plusieurs modèles de plans originaux, voire des doubles-pages, que j’ai l’habitude d’appliquer dans la conception des albums de jeunesse. En bref, j’ai essayé de mettre en avant les qualités littéraires et artistiques, tout en faisant un roman graphique qui puisse transmettre visuellement une connotation tendre.

 

Enfin, je suis très heureux que cet ouvrage puisse être publié en France, j’espère que les lecteurs pourront sentir l’attention de l’équipe de création et de rédaction. Bonne lecture !