Le nouveau one-shot de Keiko Ichiguchi, les cerisiers fleurissent malgré tout, a pour cadre la journée dramatique du 11 mars ! A cette occasion, la journaliste Karyn Poupee retrace cette terrible journée.

cerisiers11 mars 2011, 14 h 46. Tous les Japonais se souviennent de ce qu’ils faisaient et du lieu où ils se trouvaient à cet instant précis, celui du séisme de magnitude 9 survenu au large des côtes nord-est du Japon. Ils ne l’oublieront jamais, car pour tous, y compris les plus âgés, ce fut l’un des plus terribles moments de leur existence. Les habitants de Tokyo ont cru qu’il était arrivé, le mégaséisme tant redouté depuis des années. Ce n’était pas ce « Big One » tant craint, mais la suite montra que c’était peut-être pire encore. Lorsque les vagues du tsunami, atteignant plus de 30 mètres par endroits, ont déferlé sur la côte Pacifique, on n’imaginait pas les dégâts qu’elles feraient. « En voyant les images à la télévision, j’ai cru que c’était un film. Je ne pouvais pas penser que c’était réel et que cela se passait dans mon pays », témoigne une lycéenne de l’ouest du Japon. Le drame ne faisait que commencer.

« 10.000 disparus à Ishinomaki », « Entre 200 et 300 corps retrouvés sur une plage de Sendai » : les journalistes chargés de couvrir la catastrophe avaient du mal à croire ce qu’ils étaient obligés d’écrire. Mais c’était pourtant la réalité, tragique, celle que leur rapportaient les services de police. Les répliques se succédaient. Les images du drame faisaient le tour du monde, terrifiantes pour les Nippons expatriés à des milliers de kilomètres, sans nouvelles de leurs proches. Des séismes, le Japon en a connu d’autres, mais nul n’était psychologiquement prêt à un tel choc. « 6.000 personnes doivent évacuer dans un rayon de 3 km autour de la centrale nucléaire de Fukushima », annonça le préfet de cette province. Le périmètre sera porté à 10km quelques heures plus tard. Brutalement, oubliant les villes côtières saccagées, c’est vers ce complexe atomique que soudain l’attention se focalisa.

« Une déflagration entendue à la centrale nucléaire de Fukushima. » Non ! Une explosion venait de se produire sous les objectifs des caméras dans ce complexe atomique en péril. Que s’était-il exactement passé ? On n’en savait rien. Il s’était écoulé un peu plus de 24 heures depuis le séisme. On espérait la situation calmée. Elle ne faisait en réalité qu’empirer. « Calfeutrez-vous », conseilla la chaîne publique NHK aux populations vivant à quelques dizaines de kilomètres du site. « Nous habitions à 3 km de la centrale, on a dû quitter la maison dans la précipitation, en laissant les chiens », témoignait quelques jours plus tard une mère de famille encore éplorée. 50 personnes âgées invalides, pensionnaires d’un hôpital construit à moins de 5 km de la centrale atomique, sont décédées durant les opérations d’évacuation. Non, personne n’était prêt, personne.

« Élargissement du périmètre interdit à 20 km de rayon autour de la centrale de Fukushima Daiichi ». Plus les jours et les heures passaient, plus on avait la sensation que le drame s’amplifiait. Le nombre de morts et de disparus emportés par le tsunami atteignait déjà plusieurs milliers. À 200 kilomètres de la centrale de Fukushima, Tokyo était une capitale désolée, noire, meurtrie. Éteints les néons, silencieuses les rues, fermés les restaurants, désemparés les commerçants. Chacun essayait de partager le plus de temps possible avec ses proches, se demandait s’il fallait partir ou rester, doutait des informations transmises par les médias et les autorités, s’inquiétait de son avenir et de celui du Japon. Des étrangers ont fui. Des Japonais expatriés sont rentrés.

Depuis ce 11 mars 2011, les Japonais ne vivent plus tout à fait comme avant. Des dizaines de milliers d’entre eux, qui résidaient dans les environs de la centrale de Fukushima, n’ont toujours pas recouvré leur toit. Ils ne rentreront jamais chez eux, leur ville est condamnée. Des lits sont toujours en vrac dans la cour d’un hôpital de Futaba, établissement que tous les patients, âgés, ont dû fuir en catastrophe. Une cinquantaine d’entre eux sont morts de fatigue, à cause du choc ou par manque de soins durant le trajet en bus ou dans un centre de refuge. Les techniciens qui se sont évertués à limiter les dégâts dans la centrale ont sans doute sacrifié une partie de leur vie pour sauver celle de millions d’autres. Ils ne se remettront jamais des moments vécus dans l’obscurité totale d’un site atomique en péril. À Fukushima, à Ishinomaki, à Minamisôma ou à Rikuzentakata, quand la terre tremble de nouveau, et c’est hélas fréquent, la peur tétanise les habitants. Tous ceux qui ont vécu cette tragédie n’osent pas encore parler, mais on est encore loin d’avoir pris la réelle mesure du traumatisme subi. Quant à connaître les conséquences exactes de ce qui fut le plus gros sinistre nucléaire depuis celui de Tchernobyl en 1986, il faudra des décennies. Et, comme après une guerre, c’est sans nul doute à travers les œuvres d’art, les romans, les films, mais aussi les mangas, que l’on percevra les bouleversements induits par le séisme, le tsunami et l’accident nucléaire dans l’âme et la société japonaises.